15 novembre 2001 : mon chef m’annonce en chuchotant, avec un air inquiet, que ma collègue est en arrêt maladie « il parait qu’elle fait un burn-out ! ». A cette époque le burn-out fait référence à un concept flou, un mal dont on ne connait pas encore les tenants et les aboutissants. Une maladie du travail qui plus est. Qui sera la prochaine victime ?
Cette vaillante professionnelle reviendra à son poste de travail au bout de 2 semaines, « prête à en découdre avec la pile de dossier sur mon bureau » dira-t-elle. En entreprise, on aime les combattants. Personne ne dira mot, le malaise des autres étant parfois difficile à appréhender quand il fait écho à ses propres angoisses. Une semaine plus tard, elle « disparaitra » à nouveau et nous ne la reverrons plus. Au bout de 15 mois d’arrêt maladie, elle n’a pas réintégré l’entreprise. Elle refusera tout contact avec ce qui lui rappelle sa souffrance, y compris ses anciens collègues. So long Piera…
Mais qu’est-ce que le burn-out ou épuisement professionnel ?
Certes, ce mot est galvaudé dans les médias. Mais le focus sur ce sujet a permis de mettre la lumière sur un syndrome[1] impactant toutes sortes d’activités professionnelles.
Les liens avec les exigences actuelles du travail ne sont plus à démontrer. Bien que le bien-être physique et mentale des salariés soit devenu aujourd’hui un critère d’une RSE élargie[1]
(#babyfoot et fruits frais), la gestion de la performance s’est intensifiée et complexifiée et les salariés manquent toujours plus de moyens, de marges de manœuvre et de reconnaissance. Les impacts sur leur santé sont extrêmement délétères : stress chronique, perte d’identité et de sens du métier, destruction des collectifs de travail soutenants. Personne n’est épargné : du chef de chantier à l’éducateur spécialisé, de l’agent du service public à l’aide à domicile, tous feront potentiellement face à une surcharge de travail et à des injonctions paradoxales. On s’use à force de vouloir compenser aux aléas de l’activité. Ce sont d’ailleurs ceux qui s’impliquent le plus dans leur métier qui s’en sortent moins bien, notamment lorsqu’ils sont fragilisés par des conflits professionnels ou de fortes déceptions.
Les signes et symptômes de l’épuisement professionnel évoluent et envahissent toutes les sphères de la vie de la personne : image négative de soi, cynisme (un mécanisme de défense courant), émotions négatives, irritabilité et ruminations, anxiété… Avec également toutes sortes de somatisations : fatigue persistante, insomnies, douleurs physiques, et souvent, des comportements addictifs pour faire taire cette lancinante souffrance qui s’invite de plus en plus souvent malgré les efforts pour la refouler.
Le burn-out désigne à la fois ce processus de dégradation du rapport au travail qui vide progressivement la personne de ses ressources physiques et cognitives, mais aussi l’état de rupture qui survient parfois brutalement : le corps et le cerveau de la personne disjonctent littéralement, ce qui l’empêche de pouvoir effectuer les gestes basiques du quotidien. Ce phénomène peut également se produire suite à un événement professionnel marquant : c’est la goutte de trop, l’implosion… Les risques de suicide ou d’arrêt cardiaque sont alors importants.
[1] Syndrome à cause de la multiplicité des signes et symptômes, progressifs. Le BO désigne à la fois un processus et un état d’incapacité ou de crise
[2] RSE : Responsabilité Sociétale des Entreprises
Quels sont les étapes du rétablissement d’un burn-out ?
Cette maladie requiert une approche spécifique en termes de soins et d’accompagnement : ne pas dénier l’état de santé préoccupant du salarié, tout en évitant de l’enfermer dans un rôle de victime ou pire, d’inadapté au travail. Cela aurait pour effet de renforcer certains effets négatifs du syndrome (estime de soi défaillante, cynisme, anxiété) avec un pronostic de rétablissement plus lent voire difficile (épisodes dépressifs consécutifs).
Il est essentiel que la personne transforme son rapport au travail avant une réintégration de son poste, le toute avec le soutien de son employeur (RH, manager). Un autre poste sera recherché si l’environnement de travail n’est pas suffisamment résilient. On notera qu’un salarié sur 4 fait une rechute après un premier épisode de burn-out, d’où l’importance de plans de rétablissement et de réinsertion efficaces.
Le médecin traitant est le premier interlocuteur pour le « burnouté ». Il connait la personne et sa situation et pourra évaluer son état général après avoir effectué un diagnostic différentiel et la recherche de comorbidités (dépression, addictions, etc). Il prescrira dans un premier temps un repos total et proscrira toute activité en lien avec le travail, même si le patient proteste.
Phase de récupération
En effet, il est crucial que le salarié, souvent dans le déni, réalise qu’il ne s’agit pas simplement de recharger vite fait ses batteries ou de se changer les idées. Son système nerveux central a été déréglé par une surcharge en cortisol et le corps a sonné l’alerte. C’est un traumatisme qui nécessite un temps de cicatrisation minimal. La mise à distance des sources de stress permet de faire chuter le taux de cortisol et de d’obtenir une zone de sécurité pour l’organisme. Cette première phase d’arrêt est donc avant tout celle d’une récupération physiologique, d’une durée de 2 semaines environ.
L’accompagnement du psychologue spécialisé permet d’aider le patient à mettre en place des leviers de changements efficaces. Imposer une inertie totale du corps n’est pas recommandé car il maintient le patient dans une apathie avec des impacts négatifs : sentiment d’échec, d’isolement etc. Comme après une course d’endurance, il faut reprendre ses forces progressivement mais de manière active afin de remobiliser l’énergie vitale perdue. Sans énergie, pas de progrès possible. Grâce à des rituels puis des activités physiques bien dosées, selon ses aspirations et possibilités, la personne peut retrouver du tonus. Le contact des animaux et de la nature sont particulièrement indiqués : ils permettent à la personne de se reconnecter à ses sens et à ses besoins essentiels, tout en donnant des émotions positives. Le psychologue soutient également le cadrage des ruminations et propose des exercices de décharge des tensions, le réapprentissage d’un sommeil réparateur et d’une alimentation saine. Ces points de vigilance santé seront améliorés tout au long du processus de rétablissement afin qu’ils puissent devenir des réflexes.
Phase de dynamisation
Lorsque le salarié se sent plus apaisé et qu’il a retrouvé une énergie suffisante, il peut passer à la phase de dynamisation avec l’aide du psychologue, d’une durée moyenne de 12 semaines. Les objectifs sont alors la réappropriation des capacités cognitives comme émotionnelles et l’exploration et le renforcement des ressources de la personne.
Durant le processus de burn-out, le fonctionnement cognitif est fortement impacté, avec des séquelles notamment au niveau du cortex préfrontal, centre des décisions, et des facultés d’apprentissage. Des exercices spécifiques seront proposés afin que la personne puisse retrouver ses facultés en termes de mémoire et de concentration ou de réflexion, avec pour corollaire, une meilleure image de soi.
Cette phase requiert également d’analyser le vécu antérieur de la personne afin de repérer les zones à risque de rechute, qu’elles soient liées à la personnalité de la personne comme aux difficultés liées aux exigences et à l’environnement de travail. Les objectifs sont d’élaborer des stratégies de coping et des compétences psychosociales : comprendre ses schémas de pensée et ses émotions, développer des capacités et des réflexes pour faire face différemment aux menaces sur sa santé, savoir s’entourer de personnes soutenantes, renforcer ses activités ressources de la phase 1… Ce travail d’introspection permettra de préparer un plan d’action solide et rassurant pour le retour à l’activité professionnelle. La motivation ne pourra alors qu’en être renforcée.
Reprise de l’activité professionnelle
La dernière étape du rétablissement est celle de la reprise de l’activité professionnelle.
Comment sait-on si le salarié est prêt à la reprise ? Pour ce moment clé et intense, il est primordial que le salarié puisse avoir recouvré la majorité de ses capacités physiques et cognitives antérieures. Ses aptitudes s’amélioreront encore dans les mois suivants.
Autres critères clés : un sommeil récupérateur, des réflexes quotidiens pour se préserver physiquement et émotionnellement, savoir identifier de nouveaux éléments stresseurs et réagir rapidement en mobilisant des ressources adéquates, connaitre et savoir communiquer ses besoins, fixer des limites et avoir progressé sur résolution des comorbidités, notamment les troubles addictifs. Et enfin, être plus indulgent avec soi-même.
La date de reprise se déterminera donc en coordination avec les différentes parties prenantes : médecin traitant et/ou médecin du travail, RH, manager, psychologue et bien entendu, le salarié lui-même qui redevient acteur de sa vie.
Cette phase fait partie intégrante du processus puisqu’elle permet au salarié de mettre en pratique ce qu’il a pu expérimenter en consultation et ajuster sa posture en fonction de l’environnement. Il est donc crucial de pouvoir adapter le rythme et le poste de travail : objectifs, moyens d’actions, temps de travail au besoin.
Cette période de réadaptation permet aussi d’éviter la mise à l’écart du salarié dans l’équipe ou l’entreprise avec une étiquette de personne fragilisée, le risque étant la chronicisation de sa situation. Comme pour tout autre retour au travail après une absence maladie, la bienveillance et la patience de la hiérarchie et de l’entourage, sans infantiliser la personne, sont les meilleurs prédicteurs du succès de la démarche.
Lorsqu’elle est bien préparée, cette réintégration permet au salarié de prendre progressivement un nouvel équilibre vie privée/professionnelle grâce à un rapport au travail différencié et une connaissance plus fine de ses limites et ressources propres. Bien qu’il ne soit plus en arrêt de travail, l’accompagnement médical et psychologique du salarié peut durer jusqu’à 6 mois durant cette phase afin de l’aider à ajuster et stabiliser ses approches.
L’épuisement professionnel est une affection sérieuse dont il faut reconnaitre les signes prodromiques avant l’effondrement physiologique et psychologique qu’il peut provoquer chez les salariés. Car pour ces derniers, comme pour l’entreprise, cette maladie représente un coût important, à la fois humain, éthique, logistique et financier.
Un arrêt de travail d’environ 3 mois permettra au salarié de retrouver de l’énergie, des ressources de remédiation cognitive et émotionnelle et surtout des leviers d’actions personnels pour transformer son rapport au travail sur le long terme.
Mais l’éradication de ce syndrome ne peut avoir lieu sans un engagement global et coordonné des responsables et acteurs de l’entreprise (direction, RH, management) : transformer l’organisation du travail génératrice de risques, mise en place d’actions préventives collectives plutôt qu’individuelles, systèmes de surveillance et d’alertes, accompagnement des salariés et de leurs managers lors du retour au travail.