Quelles différences entre les drogues dures et les drogues douces ?
Les termes de drogues dures et de drogues douces sont communément utilisés dans le langage courant pour qualifier des substances psychoactives. Derrière eux se dessinent des représentations sur la dangerosité de ces drogues : la perte de contrôle lié à la consommation, les stigmates physiques d’une consommation régulière (addiction), la disponibilité des substances, la catégorisation des usagers selon les substances.
Ce concept véhicule l’idée que la consommation des drogues dites « douces », par opposition aux drogues dites « dures », est plus acceptable, car ces substances auraient des effets moins toxiques et donc seraient moins nocives pour la santé. Est-il vrai que les drogues douces sont moins dangereuses ? Quelle est la pertinence de cette distinction ? Et, cette dichotomie a-t-elle des conséquences en termes de consommation et d’addiction ?
NAVIGUER AU SEIN DE L’ARTICLE
1. Qu’est-ce qu’une drogue (avant d’être douce ou dure) ?
2. Pourquoi ce concept de drogues dures drogues douces ?
3. L’invalidité du concept drogues dures drogues douces
4. Pourquoi ce concept perdure-t-il ?
5. Les conséquences d’une consommation de drogues « douces »
Qu’est-ce qu’une drogue (avant d’être douce ou dure) ?
Une drogue est une substance psychoactive susceptible d’engendrer une dépendance. Elle agit sur le système nerveux central et entraîne des modifications des sensations, des perceptions, des états mentaux et émotionnels, ainsi que de la motricité.
Toute substance psychoactive (drogue) peut générer une dépendance physique et/ou psychique. La dépendance physique s’observe lorsque la quantité de produit consommé doit être augmentée pour obtenir le même effet et qu’en état de manque des troubles physiologiques apparaissent. La dépendance psychique se définit par un désir impérieux et persistant de consommer la drogue avec une incapacité à freiner ou cesser sa consommation.
Les facteurs agissant sur la dépendance sont nombreux et interdépendants : individuels (l’âge, le sexe, la personnalité), environnementaux (accessibilité aux produits), socio-économiques (milieux urbains, faibles qualifications), culturels, évènements de vie (traumatismes),…
Pourquoi ce concept de drogues dures drogues douces ?
Il existe plusieurs classifications pour différencier les drogues : selon leur rapport à la loi, licites (tabac, alcool, café) vs. illicites (stupéfiants) ; leur mode de production, naturelles (cultivées biologiquement) vs. synthétiques (élaborées chimiquement) ; selon leurs effets stimulant, hallucinogène ou sédatif.
Quels critères permettent de différencier une drogue douce d’une drogue dure ?
Aucun, cette différence est une construction imaginaire, un héritage culturel qui attribue une moindre dangerosité à certaines substances qualifiées de drogues douces, il s’agit principalement du cannabis.
D’où vient ce concept de drogues douce drogues dures ?
En effet, ce vieux concept de drogue douce/drogue dure est né d’une distinction médicale sur les effets observés en cas de privation de substances psychoactives : les drogues douces engendrent principalement des troubles psychiques, et les drogues dures d’importants troubles physiques en plus des troubles psychiques.
Ce concept est depuis longtemps totalement invalidé par les addictologues. Non seulement cette dichotomie est fausse sur le plan médical et pharmacologique, mais elle est erronée sur le plan sémantique. En effet, le terme de « drogue » est une mauvaise traduction du mot anglais « drug » qui signifie agent pharmacologique, c’est-à-dire la substance psychoactive que l’on retrouve aussi bien dans les médicaments que dans les substances utilisées culturellement à des fins thérapeutiques. La langue anglaise différencie l’agent pharmacologique « drug » et leur consommation problématique « drug of abuse / addictive drugs », distinction qui n’apparait pas dans le langage courant en France.
L’invalidité du concept drogues dures drogues douces
Dans l’imaginaire collectif, les drogues douces désignent les produits auxquels sont associés une faible dépendance psychique, principalement le cannabis ; et les drogues dures celles qui entrainent une forte dépendance physique et psychique, la cocaïne, l’héroïne et leurs dérivés.
Or, ce n’est pas le produit mais son usage (dose, fréquence) qui pose un problème dans les addictions. D’autre part, parmi toutes les drogues, le THC (produit actif du Cannabis) est la seule substance à se loger durablement dans les graisses de l’organisme, le THC reste ainsi disponible plusieurs jours après sa consommation.
La concentration de THC baisse progressivement au cours du temps. C’est la raison pour laquelle les effets somatiques de l’abstinence n’apparaissent pas dans l’immédiat, pouvant laisser croire à une absence de dépendance au cannabis, qui peut s’installer insidieusement.
Pourquoi ce concept perdure-t-il ?
La loi et les drogues douces
Le législateur s’est inspiré de ce concept drogues douces drogues dures pour mettre en place un système pénal permettant la différenciation entre les drogues licites et illicites, selon le risque qu’elles font encourir aux consommateurs et à la société. En France, la loi ne différencie pas aujourd’hui les drogues douces (le cannabis) des drogues dures (héroïne, cocaïne, et autres), leur usage fait l’objet d’une même condamnation pénale.
C’est dans les années 1960 que l’usage des drogues est perçu comme un problème sanitaire et plus seulement comme un problème de délinquance (trafic). Dix ans plus tard la loi distinguera les usagers des trafiquants, avec un dispositif répressif identique pour tous les usagers de stupéfiants et une variation des peines en fonction de la nature du trafic. En France, le cannabis représente la très grande majorité des condamnations pour usage ou trafic-revente de drogues.
L’acceptabilité sociale des drogues douces
L’aspect normatif de cette dichotomie confère aux drogues douces une acceptabilité sociale ; En effet, les drogues dures sont assimilées à des produits avec un fort potentiel de dépendance, plus puissantes et plus toxiques que les drogues dites « douces ». Associer la douceur au terme de « drogue » permet de dédramatiser leur consommation, et ainsi la banaliser.
La banalisation des drogues douces n’est pas sans incidence. Elle normalise et favorise un usage régulier. Or, une consommation régulière de cannabis ouvre l’accès aux autres drogues. En effet, l’organisme s’habitue et réagit moins au cannabis. Pour obtenir le même effet, les doses vont être progressivement augmentées, puis associées avec d’autres substances psychoactives (alcool, héroïne, ecstasy, … ) pour des effets plus intenses.
Les conséquences d’une consommation de drogues « douces »
Il est intéressant de comparer la consommation de cannabis chez les jeunes, et l’alcool chez les adultes. Un parallèle peut être fait pour leurs effets recherchés : la détente, une aide à la gestion du stress et des angoisses, la désinhibition qui facilite la sociabilité et l’intégration au groupe. Mais aussi pour leur accessibilité, en effet le cannabis est la drogue la moins couteuse et la plus facile à se procurer (c’est la drogue la plus utilisée), et l’alcool est bon marché et en vente libre.
L’alcool et le tabac font l’objet de grandes campagnes nationales de prévention sur les risques liés à leur consommation depuis plus de 30 ans. Les campagnes de sensibilisation sur les risques liés à la consommation de cannabis se concentrent sur les réseaux sociaux, on peut se questionner sur leur absence dans les media nationaux. En effet, il s’agit d’un sujet de société pour lequel il est important de faire de la prévention. Informer et dialoguer, pour comprendre les raisons qui conduisent à cette consommation, encourager le dialogue intergénérationnel, et se questionner aussi sur sa propre attitude au sujet de l’alcool, du tabac et autres produits.
En conclusion, il convient de bannir de notre langage ces notions de drogues douces et drogues dures qui véhiculent de fausses idées, notamment en ce qui concerne le cannabis et sa perception chez les jeunes consommateurs. Le cannabis n’est pas une substance moins dangereuse que les autres stupéfiants, le THC est une substance addictive, et il est établi que la consommation régulière de cannabis est la voie d’entrée dans la polytoxicomanie.
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