La codépendance est définit comme un état de dépendance d’une personne à un proche qui souffre lui-même de dépendance à une substance psychoactive ou d’une addiction comportementale.
« Pour 1 malade alcoolique, 5 à 7 personnes sont impactées : enfants, conjoints, parents, fratrie etc. Selon les professionnels, environ 5 millions de français ont un ‘’mésusage ‘’ de l’alcool, ce qui signifie qu’environ 30 millions de proches sont impactés ». (Source : association Cop-ma)
Ces chiffres n’abordent que les problématiques d’alcool, imaginez si on les ouvre à l’ensemble des addictions ? Combien de personnes sont réellement concernées par cette maladie ? Aujourd’hui, Louise contribue à lever le tabou sur le rôle de l’entourage auprès des proches usagers. Elle nous livre son témoignage.
Bonjour Louise, vous avez aujourd’hui décidé de témoigner pour GAE Conseil, dans le but de passer un message qui vous parait important. Nous vous remercions pour votre confiance. Pour commencer, accepteriez-vous de nous en dire plus sur vous ?
Bonjour, je suis Louise, j’ai 32 ans et après un parcours en ingénierie, je suis actuellement responsable d’unité dans un groupe international. Issue d’un milieu précaire, j’ai vécu auprès d’un père polyaddict et d’une mère qui a fait ce qu’elle a pu pour garder à flots le foyer familial.
Selon vous quand a débuté la maladie de votre père ?
Je pense que la maladie de mon père a débutée durant son adolescence. Ma mère m’avait expliquée que c’était son côté « bad boy », qui buvait un peu trop en soirée, qui l’avait séduite. Puis quand ils se sont mis en couple, elle s’est rapidement aperçue que, chaque jour, il achetait et consommait son pack de bières. Lorsqu’ils se sont installés ensemble, les quantités ont augmentées, pour laisser place, petit à petit, à des alcools plus forts. L’engrenage était en fait présent bien avant leur rencontre et s’est insidieusement intensifié au fur et à mesure des mois et des années.
Comment avez-vous compris que votre père était malade ?
Je me suis rendu compte que mon père avait un problème lors du Noël de mes 9 ans. Les Noël étaient toujours très faste chez nous, le repas était copieux, les cadeaux ruisselaient au pied du sapin. On les ouvrait à l’heure de l’apéritif lors du réveillon et pas au petit matin du 25 comme les autres familles. Durant ce fameux noël, ma mère et moi avons dû manger le saumon et le foie gras, enfermées dans la chambre de mes parents. L’apéritif avait commencé trop tôt, l’alcool avait déjà fait ses ravages. Ma mère semblait habituée à gérer ses situations d’angoisse, j’ai donc compris que ce n’était surement pas la première fois qu’elle vivait cela.
A ce moment-là, beaucoup de mes interrogations se sont éclairées : qu’est-ce qui faisait que mon père semblait devenir un autre passée une heure plus tardive ? Pourquoi me disait-il parfois des choses que je n’avais pas à entendre ? Pourquoi ma mère semblait si fatiguée ? Pourquoi mes parents ne gardaient aucuns amis ?
La réponse tenait en une bouteille de pastis !
Comment avez-vous réagi face au fait que l’alcoolisme soit une maladie ?
A vrai dire, j’ai compris assez rapidement qu’il s’agissait d’une maladie et non d’un vice. Mon père n’était pas dans le déni. Cependant, il s’y complaisait. Cela avait, l’avantage, si je peux dire ça ainsi, qu’il m’expliquait beaucoup de choses. Il m’expliquait ses épisodes de manque, les périodes de sevrage forcé liées à l’absence d’argent, ses envies irrépressibles de consommer, etc.
L’anecdote qui m’a le plus marquée, est la métaphore de ce petit singe derrière sa tête. C’est ainsi qu’il symbolisait ce qui faisait office de stimuli dans ses envies de boire. Lorsque l’envie était trop intense, le singe se mettait à jouer des castagnettes, rendant la situation assourdissante, insoluble.
Votre père a-t-il fait l’objet d’une prise en charge spécifique ?
Oui, plusieurs fois !
Il a été en cure pour se sevrer : quatre ou cinq fois je crois. Mais cela n’a jamais abouti.
Soit il partait, parce qu’il ne comprenait pas pourquoi on le sevrait de l’alcool via un médicament. Il préférait encore choisir le produit auquel être dépendant.
Soit il finissait sa cure, mais n’avait pas de suivi derrière. Il rechutait dès qu’il rentrait où quelques-jours après.
C’était il y a 20 ans et je sais qu’aujourd’hui les choses ont beaucoup évoluées. Des centres postcure existent ainsi que des suivis en ambulatoires, avec des démarches pluridisciplinaires pour accompagner, physiquement, psychiquement et socialement les personnes malades.
Quels impacts a eu la maladie sur vous et sur le reste de votre entourage ?
D’une part, ma mère a dû compenser la non-capacité de mon père à travailler. Elle a donc travaillé pour deux, et une grande partie de son salaire était consommé : alcool, stupéfiants, tabac, jeux… Elle a fini par tomber gravement malade. Les dettes se sont donc enchainées, ont suivi la perte de notre maison, l’expulsion, la précarité, les colis alimentaires, les restos du cœur, la honte.
Je me souviens de cette honte. Bizarrement, je n’avais pas honte de l’alcoolisme de mon père, mais de la situation dans laquelle cela nous mettait. Nous devenions souvent le pauvre de quelqu’un et la pitié remplaçait les relations saines. Je ne supportais pas ça. J’étais au début de mon adolescence, je vivais des choses difficiles dans mon foyer : la maladie, les violences, la précarité, j’avais donc du mal à parler le même langage que les jeunes de mon âge : je me sentais en décalage.
Ceci étant, même si le tableau peut sembler noir, il y a pourtant du beau, car ni de ma mère, ni de mon père, je n’ai manqué d’amour. Tous deux m’ont élevé, tous deux m’ont poussé : c’est grâce à eux que j’en suis là aujourd’hui car ils m’ont insufflé de la force pour que je trace mon chemin.
Mais la maladie de mon père a eu raison de mon entourage proche, qui a fini par se disloquer quand je suis partie faire mes études. Ma mère s’est séparée après son cancer, et moi j’ai été dans l’obligation de couper tous contacts avec mon père, pour ne pas qu’il me fasse sombrer avec lui.
Pensez-vous avoir eu un rôle de proche-aidante ?
Bien sûr ! Pas autant que ma mère qui a tout faire pour soutenir mon père. Mais moi aussi je l’ai écouté. Moi aussi, j’ai cherché des solutions. Moi aussi j’ai donné mes premiers salaires saisonniés pour que l’on puisse manger. J’ai veillé sur mon père comme d’une mère sur son fils.
Je voulais aussi le rendre fier, devenir une raison suffisante pour qu’il arrête de boire. Être plus importante que l’alcool. J’ai compris que cela était vain, lorsqu’il s’est mis à fumer les médicaments prescrit contre le cancer de ma mère. J’ai compris que je ne pouvais rien pour lui, s’il n’avait pas décidé d’entrer dans un processus de soin pour lui, avant tout pour lui, surtout pour lui !
Vous êtes-vous sentie soutenue en tant que proche-aidante ? Qu’est-ce qui vous a le plus manqué ?
Soutenue ? Aucunement ! La seule personne qui a œuvré à nous déculpabiliser ma mère et moi, c’est notre assistante sociale. D’ailleurs, je n’oublierai jamais le travail qu’elle a accompli pour nous accompagner.
A l’époque, les addictions c’était quelque-chose de très tabou. Ça l’est encore aujourd’hui, mais il existe des choses pour accompagner l’entourage : des associations notamment. De plus, les proches-aidants sont de plus en plus inclus dans les parcours de rétablissement des personnes malades. Il reste beaucoup à faire, mais c’est sur la bonne voie.
Ce qui m’a manqué, également, c’est l’axe de la prévention. Aller chercher les informations soi-même, lorsque l’on est proche-aidante, reste une démarche compliquée. Si, à l’époque, la prévention du risque « addiction » avait été monnaie courante, alors on n’aurait pas tissé, ma mère et moi, une relation de codépendance avec mon père.
Ensuite, j’aime à penser, que peut-être que si mon père avait bénéficié d’une prévention sur ce risque dans sa jeunesse, alors il ne serait peut-être pas tombé dans les pièges du mésusage, avant de s’enfermer dans le cercle vicieux de l’addiction.
Pour conclure, quel message souhaitez-vous faire passer à ceux qui vous lisent ?
L’entourage se sent souvent coupable de la maladie de son proche : ne pas réussir à l’aider, ne pas être plus fort que le produit, de le voir toujours sombrer un peu plus malgré les efforts fournis pour le sauver.
Comprendre que l’addiction est une maladie est une chose, mais être suffisamment informé pour l’accepter en est une autre. C’est ainsi que l’entourage a tendance à s’épuiser, au lieu de devenir l’un des piliers de l’accompagnement pluridisciplinaire mis en œuvre pour le malade. C’est ainsi que l’entourage entre dans les pièges de la codépendance.
On ne peut pas forcer une personne malade d’addiction à se soigner, elle doit le faire pour elle avant tout. Elle est au centre de son parcours, et ça l’entourage doit l’accepter.
L’accompagnement de l’usager par des professionnels de santé (physique et mentale) et du social qualifiés, est une nécessité dans le parcours de rétablissement. Créer une alliance thérapeutique incluant l’entourage est primordial pour le parcours de l’usager, mais aussi pour celui des proches-aidants eux-mêmes. Accepter de se faire accompagner en tant qu’entourage est une démarche difficile mais indispensable, pour soi, mais aussi pour celui que l’on soutien.
Mille mercis à vous Louise pour ce témoignage.