Alors que la médecine est en constante évolution en ce qui concerne les addictions, une nouvelle pratique nous est venue du Canada : le patient expert.
Qui est-il, que fait-il, et qu’apporte-t-il de nouveau à la pratique de l’addictologie ?

D’où vient le concept de patient-expert ?
Le concept du patient expert a vu le jour au Canada en cancérologie, lorsque les médecins se sont aperçus que les visites répétées de patients rétablis, avaient un impact considérablement positif sur l’état de ceux qui se trouvaient en chimiothérapie. L’efficacité de leur traitement était nettement améliorée, et leur état de santé mentale s’en voyait également positivement impacté. La médecine n’avait aucune explication physiologique, et pourtant, cela marchait ! La guérison n’en était pas pour autant garantie, mais elle était grandement favorisée.
C’est alors qu’un protocole a été créé. On a recruté d’anciens patient, motivés, et une formation leur a été proposée, afin qu’ils aient les outils théoriques, ainsi qu’une meilleure aisance dans la pratique des interactions humaines dans le cadre médical.
Le patient expert était né. Il repose sur l’idée que les personnes ayant personnellement vécu une addiction peuvent apporter une contribution précieuse en termes de connaissances, de soutien et d’expérience aux professionnels de la santé et aux autres personnes concernées par ces problématiques.
La pratique s’est ensuite élargie à d’autres pathologies chroniques, telles que diabète ou transplantation d’organes, s’étoffant d’outils et de conseils que seules les personnes ayant vécu la maladie dans leur chair pouvaient délivrer, sur la réalité du quotidien. Au fil du temps, les professionnels de la santé ont commencé à reconnaître la valeur des perspectives des patients dans le domaine de l’addictologie. Les patients qui avaient réussi à se rétablir de leur dépendance étaient devenus des ressources précieuses pour comprendre les mécanismes de l’addiction, les défis rencontrés lors du processus de rétablissement et les stratégies efficaces pour maintenir l’abstinence.
En France, le concept a été développé par l’addictologue Micheline Claudon, en 2016, et ne cesse de prouver son efficacité. Une étude clinique est en cours, afin de mesurer plus concrètement ses effets bénéfiques.
Bilingues
Mais qu’apporte donc cette spécialité, que le corps médical n’avait pas ?
Cela peut sembler insignifiant, mais les professionnels de la santé ont pu constater depuis quelques années, qu’un maillon manquait dans la chaîne entre le patient et le médecin. Il y avait un fossé entre les deux, que ni l’un ni l’autre ne semblait pouvoir franchir, et où la communication s’arrêtait. Car le médecin est un professionnel. Il a donc des horaires, des protocoles, des responsabilités, des comptes à rendre, une hiérarchie. Sa blouse blanche lui fait endosser un certain costume social, et la vision du patient à son égard s’en voit teintée. Ainsi, un malade ne parlera pas à son addictologue de la même manière qu’à un ami, à son conjoint, ou à son patron. Le statut met en place un certain code dont on ne peut s’affranchir.
Et, pareillement, ce même médecin, par la même mécanique, ne pourra pas s’adresser à son patient de n’importe quelle manière, et respectera lui aussi les codes sociaux qui régissent les relations patient-médecin.
C’est alors que le patient expert entre en jeu. Car, lui, n’est ni médecin, ni malade. Il est ancien patient. Et il détient un certain savoir théorique qui lui fait avoir un pied du côté du corps médical.
Il a cette fonction que l’on qualifie de « bilinguisme ».
Car il peut ainsi aider les médecins à mieux comprendre la réalité intérieure de leurs patients, encore incapables de formuler certaines de leurs sensations.
La formation du patient expert lui donne la capacité d’analyser ces mêmes sensations qu’il a eues, lui aussi, à la lumière de l’objectivité scientifique et médicale. Ainsi, il offre à l’équipe soignante, dans son « langage », cette traduction de ce que tente d’exprimer le patient encore en souffrance, sans même le savoir.
Le patient expert est ainsi du côté de l’équipe médicale, et l’« aide à aider ». Il est un véritable soutien et une ressource précieuse, afin de mieux plonger dans ce que leurs patients ne parviennent pas à communiquer.
Le savoir expérientiel
Mais nous parlons bien de bilinguisme. C’est à dire que, certes, le patient expert communique aux médecins la « traduction » du « langage » des patients, mais il agit également dans le sens inverse, en permettant aux patients de comprendre ce que l’équipe médicale souhaite leur faire passer.
En effet, les patients en souffrance n’ont pas encore le recul nécessaire pour intégrer que l’on veut leur tendre la main. La maladie de l’addiction les met dans un état d’esprit qui ne leur appartient pas, en leur prêtant des idées souvent très éloignées de la réalité telles que : « moi je suis spécial.e, je suis un cas désespéré, je ne m’en sortirai jamais » ou « personne ne me comprend, les médecins ne savent pas, je ne peux pas arrêter, je ne peux pas vivre sans mon produit ».
Mais l’expérience de l’addiction, que le patient expert a vécue, au quotidien, et donc de l’intérieur, lui fait garder l’autre pied du côté des patients. Il a eu ces mêmes idées, et il sait combien elles sont illusoires. Et il s’agit là d’un savoir expérientiel, que les médecins, même avec toute la volonté du monde, ne peuvent acquérir par l’étude. C’est ce savoir intangible, de l’ordre du souvenir, de l’impression corporelle, du marquage de l’esprit au fer rouge, que le patient expert est capable de retrouver.
Fort du recul que lui offrent les années d’abstinence et de travail sur soi, il peut désormais mettre cette expérience au service du patient qui, aveuglé par le stade encore trop jeune de son rétablissement, ne peut concevoir certaines idées.
Le patient expert est donc pour les patients l’incarnation de ce que les médecins ne peuvent que leur dire avec des mots : le patient expert le leur montre.
Une maladie du lien qui se soigne par le lien
Il est également un aspect moins mesurable qu’est la communication silencieuse entre deux personnes ayant souffert du même mal. Les réunir déclenche cette empathie qui les tire mutuellement vers le haut, sur le modèle des groupes d’entraide, initiés aux Etats-Unis. C’est ainsi que les patients se sont vus davantage impliqués dans les processus de soins et de prise de décision, améliorant considérablement les résultats thérapeutiques.
Et ce système a vu les résultats positifs s’inscrire dans les deux sens, puisque le patient expert lui-même bénéficie de cette relation, et de ce service rendu au monde médical en addictologie. Poser un sens sur la souffrance qu’il a endurée représente ainsi un outil supplémentaire dans son propre rétablissement. Car tendre la main aux patients aide l’addict rétabli à maintenir une estime de lui-même, mais également à garder son esprit tourné vers la vie.
L’addiction est une maladie de l’isolement, qui se soigne par le lien. Tisser ainsi des connexions, et aider les autres à les tisser ensemble, fait donc partie intégrante du retour à la vie que représente le rétablissement d’une addiction, et dont le patient expert jouit au même titre que son patient. Car se sentir utile dans la société est le premier pas vers une bonne estime de soi, qui rendra le produit caduque et inutile, puisqu’il en était le substitut.
C’est ainsi qu’aujourd’hui, les patients experts en addictologie jouent un rôle de plus en plus reconnu et valorisé dans la lutte contre les addictions. Leur expertise, sous forme de savoir expérientiel, est utilisée dans la formation des professionnels de la santé, la sensibilisation du public, l’élaboration de lignes directrices de bonnes pratiques et la promotion de l’empowerment des patients. Leur expérience personnelle et leur engagement contribuent à réduire la stigmatisation associée aux addictions et à améliorer les soins et le soutien offerts aux personnes confrontées à ces problématiques.