Le monde de l’entreprise est une zone de la vie qui n’est comparable à aucune autre. C’est une société dans la société, avec ses propres codes, son propre environnement, ses propres modes de communication.
Ainsi, au travail, nous montrons tous un certain aspect de soi-même, différent de celui que nous endossons en famille ou encore entre amis.
La structure de notre société est ainsi faite que le monde du travail est donc le lieu où l’on assume le moins ses défauts, où l’on souhaite le plus se montrer infaillible et dans une certaine sorte de perfection que l’on s’est bâti.
C’est le lieu où l’on veut « assurer », et offrir aux autres la meilleure image de soi-même.
Pourquoi l’entreprise ?
Et pourtant, il s’agit du premier lieu où les problématiques d’addiction peuvent être prises à temps, même si, au travail, un dépendant résistera de toutes ses forces avant de laisser paraître ne serait-ce qu’un indice laissant penser qu’il est addict. Et si l’addiction parvient à sourdre entre les murailles qu’il aura élevées, la plupart du temps, il niera tout en bloc.
Pourquoi ? C’est le fameux déni.
La seule et unique source de ce déni est le fléau du monde de l’addictologie : les représentations. Ces idées toutes faites que l’on a au sujet de l’addiction, de l’addict lui-même, du « dépendant » que l’on associe au faible, sans volonté, incapable de se prendre en main, négligeant, menteur, voleur, voire violent.
Personne ne souhaite être associé à ces images. C’est pourquoi, afin d’être capable de se lever le matin et d’être un tant soit peu fonctionnel au quotidien, il relève de la survie de l’ego de s’en détacher. L’addict nie, donc, en bloc et contre toute évidence. Il trouve toutes les excuses du monde, et parvient à convaincre qu’il « gère ».
Or, l’entreprise regorge de ressources d’aides pour guider les personnes en proie à l’addiction, mais également leurs collègues, qui disposent de protocoles très précis qui encadrent la prise en charge de cette problématique, à chacun de ses stades. Seulement ces ressources ne sont que rarement connues des employés et ne sont donc pas toujours mises à profit, pour le bien-être de tous, y compris celui de l’entreprise elle-même, qui bénéficie de la bonne santé de ses employés.
Le visage du rétablissement
C’est donc bien les représentations qu’a le dépendant lui-même, qui sont à la source du problème, puisque l’entourage, les collègues aussi bien que les cadres étant convaincus que la personne « gère », ne prendront pas les mesures nécessaires, tant qu’il n’y aura pas de preuves factuelles d’une défaillance, telles que des retards ou des erreurs.
Alors que, sans ces représentations négatives attachées à l’addiction, la personne malade aura bien plus tôt fait de comprendre qu’elle a un problème, et qu’il ne s’agit en rien d’un vice ou d’une défaillance morale, mais bien d’une maladie, contre laquelle cette personne ne peut rien, seule. Et, débarrassée de la honte qui enveloppait le déni, elle saura demander de l’aide, avant que les erreurs et les drames ne surviennent.
Le patient expert a donc cette fonction d’être le visage du rétablissement, véhiculant le message que l’addiction ne relève en rien de la morale, mais bien de la santé, et de rappeler que la notion de maladie engendre une notion de guérison. Il est cette preuve vivante qu’un produit ou un comportement n’est pas une nécessité éternelle, et qu’il est possible de s’en passer sans s’effondrer – car il s’agit là d’une croyance commune parmi les malades addicts.
Sensibilisation et prévention
Le patient expert saura donc briser ce silence, qui tue bien davantage que l’addiction elle-même, puisqu’il met un mur entre un addict et son rétablissement, l’empêchant de s’engager sur un parcours de soin qui lui sauvera la vie.
Cette nouvelle ressource au sein de l’entreprise pourra donc être impliquée dans des initiatives de sensibilisation et de prévention des addictions au sein de l’entreprise. Les patients experts peuvent partager leur expérience personnelle, fournir des informations sur les risques liés aux addictions, organiser des séances de sensibilisation et aider à promouvoir une culture d’entreprise axée sur la santé et le bien-être.
Là où les performances sont devenues une obligation, ce protocole du patient expert reposant sur l’empathie, permet de sensibiliser les équipes de travail à la bienveillance, encourageant l’entraide, et la priorisation de la santé, ne serait-ce que pour être au mieux de ses capacités professionnelles.
Ses interventions peuvent donc participer à l’évaluation individuelle des employés d’une entreprise, pouvant aboutir à des prises de conscience. « Où en suis-je dans ma consommation d’alcool ? », « Quel est mon rapport au travail ? », « Quelles sont mes motivations dans mes consommations ? ».
Il ne s’agira en rien de pointer du doigt les éléments sujets à l’addiction, mais davantage de permettre d’ouvrir le dialogue sur le sujet, et de savoir personnellement où se situer sur l’échelle des conduites addictives.
Formation et éducation
Malgré les politiques de prévention, il arrive qu’une addiction fasse son chemin dans la vie d’un membre d’une équipe de travail.
Or, il peut s’avérer extrêmement complexe de s’adresser à une personne en proie à la maladie de l’addiction, car le déni mis en place par la honte, est parfois très complexe à détricoter. On ne veut pas « dénoncer », ni « accuser », et l’affaire se complique encore si les liens entre collègues sont devenus amicaux : on ne veut pas mettre un camarade « dans l’embarras », ni risquer de briser une relation de bonne entente par la réaction de la personne concernée qui pourrait se sentir jugée.
Briser les tabous est donc primordial pour prendre soin de chaque membre d’une entreprise, afin que sa totalité se porte d’autant mieux. Et le patient expert a ce pouvoir de libérer la parole sur le sujet de l’addiction, permettant aux employés d’une entreprise de s’affranchir des préjugés et de savoir réagir s’ils avaient à faire face à une problématique d’addiction, qu’il s’agisse d’eux-mêmes, ou d’un collègue.
Le patient expert peut ainsi jouer un rôle dans la formation et l’éducation des employés sur les addictions. Il peut participer à des programmes de formation, des ateliers ou des séminaires pour aider les employés à comprendre les signes et les symptômes des addictions, les risques associés, les stratégies de prévention et les ressources de soutien disponibles.
Car le manager qui se trouve face à un employé souffrant d’une addiction n’est pas seul : lui aussi bénéficie de multiples soutiens pour l’orienter et traiter au mieux cette problématique, et de manière adaptée. Le patient expert saura lui donner les mots pour briser le tabou, et contourner la honte que la personne pourrait ressentir, et ainsi ne pas la braquer. Il pourra également lui indiquer les procédures à mettre en place pour chaque cas de figure, de la simple suspicion à la faute professionnelle, toujours dans un souci de bienveillance envers l’employé, même dans le cas d’un licenciement.
Soutien aux employés
Les représentations ayant creusé leur sillon, l’addiction est, souvent, encore et toujours relégué au rang de vice moral au lieu de maladie. Ainsi, les employés d’une entreprise n’étant souvent pas conscients de toutes les aides mises à leur disposition dans la problématique des addictions, ils peuvent se priver de ressources précieuses, et le réflexe de se tourner vers la médecine du travail est donc encore loin d’être une évidence.
De plus, les rôles de chacun ne sont pas toujours bien connus de tous : à quel moment se tourne-t-on vers les ressources humaines ? L’assistant.e social.e? L’infirmerie ? Le 15 ? Le 18 ?
Fort de sa formation qui lui donne, en plus de son savoir expérientiel, une connaissance théorique des mesures disponibles, un patient expert peut ainsi offrir un soutien direct aux employés qui font face à des problèmes liés aux addictions, qu’il s’agisse d’eux-mêmes ou de collègues. Ils peuvent représenter une oreille attentive et être disponibles pour des discussions confidentielles, fournir des conseils et une écoute empathique, et orienter les employés vers des ressources professionnelles appropriées.
Faire évoluer l’entreprise
Nous l’avons vu, les représentations qui mènent aux tabous peuvent avoir des effets très délétères sur les équipes de travail, puisqu’elles contribuent à la stigmatisation de la maladie de l’addiction, empêchant ceux qui en souffrent de s’orienter vers un parcours de soins. Mais elles jouent également un rôle prépondérant dans l’atmosphère générale d’une entreprise, souvent trop tournée vers les performances à tout prix, même celui de la santé de ses employés, entrant dans une spirale contre-productive.
Le patient expert peut ainsi avoir un rôle pivot, pour encourager une culture de santé et de bien-être au sein du monde du travail, en partageant des conseils pratiques sur la gestion du stress, la promotion d’un mode de vie équilibré et la mise en place de politiques favorables à la santé mentale.
Il pourra également, si l’entreprise le souhaite, être impliqué dans l’élaboration de politiques internes visant à prévenir les addictions et à soutenir les employés en rétablissement. Leur expérience personnelle peut contribuer à la conception de programmes de soutien appropriés et à la mise en place de politiques inclusives et non stigmatisantes, participant à une société davantage tournée vers l’humain, le rendant ainsi d’autant plus apte et motivé à contribuer au succès de son entreprise.
En conclusion, nous pouvons dire que le patient expert, en tant que figure tampon entre l’addict et son parcours de soin, a toute sa place dans le monde de l’entreprise, qu’il s’agisse de prévenir les problématiques liées aux addictions, de former les employés à y faire face si elles surviennent, et de fournir un soutien ainsi qu’une orientation, là où les ressources disponibles ne sont pas toujours connues.
Il pourra également contribuer à l’évolution du monde du travail en général, en participant à l’amélioration des politiques internes, pour une société tournée davantage vers la santé individuelle et collective.